Deniz Reis, fluctuat toujours

L’année cruciale d’installation était arrivée. Malgré les assurances de la municipalité je pressentais que l’ouverture de l’hôtel nécessiterait plus que quelques formalités. Je jugeai donc plus prudent d’anticiper mon départ afin de faire face aux imprévus qu’à ce jour personne n’envisageait. Nos amis turcs ont toujours tendance à refuser d’envisager par avance d’éventuelles difficultés.


Pour eux, tout doit, d’une façon ou d’une autre, pouvoir s’arranger. C’est ainsi qu’en général ils m’annoncent problèmes et difficultés la veille du jour où tout doit être réglé.

Je partis donc en février, estimant que pour une ouverture en avril, cela me laissait le temps d’échafauder sur place d’éventuels plans B, C, ou D, si d’aventure Metin ne pouvait tout régler.

A mon arrivée les assurances 2006 me furent réitérées, il fallait simplement prendre son temps, ne rien brusquer et faire tranquillement avancer le dossier. J’eus la désagréable impression cependant qu’avant mon arrivée il était resté fermé. Mais, bon, Metin et Chefik, l’adjoint du maire, souriaient de mes inquiétudes d’un air si assuré que je me laissai convaincre et cessai de m’agiter.

J’en profitai pour réexaminer avec Metin la situation de notre bateau restaurant. Elle n’avait pas vraiment empiré, mais on ne peut pas dire non plus qu’elle se fût vraiment améliorée. J’expliquai à Metin que ma situation avait changé, que mes revenus français avaient diminué et qu’il me serait agréable de pouvoir supprimer mes subventions au poisson.

Il en convint. Mais nous ne voulions ni l’un ni l’autre voir disparaître Deniz Reis, ce monument de la restauration. Le soir à la maison je trouvai la solution de l’équation : Il était clair que personne ne m’achèterait le bateau, j’avais déjà vendu l’hélice et les moteurs, la coque ne pourrait intéresser qu’un ferrailleur. Il n’y en avait pas dans les environs. Ceci posé comme un fait, ce bateau, même fermé, prenait de la place, je ne pouvais guère l’imaginer comme élément décoratif au milieu de mes orangers. J’aurais donc dans tous les cas le loyer de son emplacement au port à payer.

J’exposai donc ma solution à Metin dès le lendemain : pendant un an je paierais le coût de l’emplacement, pour le reste, salaires, achats…il se débrouillerait. Il devenait locataire gérant, mais sans rien me payer. Si, au bout d’un an, ses affaires marchaient à peu près, c’est lui qui reprendrait le loyer. Ma solution lui convînt, elle avait l’avantage de fixer à l’avance ma contribution et lui permettait de conserver une occupation. Le comptable nous bricolerait une comptabilité séparée pour que hôtel et restaurant ne payent chacun que leur juste quote-part d’impôts, TVA et autres charges.

Tout cela était un bricolage bancal, et, qui plus est, purement oral, mais c’était une façon de différer la solution finale et de repousser à nouveau le problème d’une année.

L’esprit libéré provisoirement de ce souci je m’attelai à la liste « choses à faire » que m’avait élaborée Mireille. L’une des plus importantes étaient l’achat d’une voiture. Jusqu’à présent nous avions enrichi les loueurs, notre nouveau statut de commerçant exigeait que nous enrichissions maintenant les vendeurs. Une journée à Antalya suffit pour trouver le véhicule ad hoc. Pas de procédure, un simple ordre de virement, et je repartis tout fier avec ma nouvelle voiture.

Les choses se compliquèrent pour obtenir ma plaque d’immatriculation définitive. En Turquie c’est visiblement une procédure sophistiquée vu le nombre d’officines spécialisées qui se chargent d’accomplir pour vous toutes les formalités. J’en pris une au hasard et l’on me promit une régularisation rapide.
Au bout d’une semaine ma plaque n’était toujours pas arrivée ; à chaque passage en ville je m’arrêtais à l’officine pour prendre le thé et m’enquérir de l’avancement du dossier. J’avais quand même une certaine urgence, car dès l’arrivée de Mireille nous partirions en Cappadoce pour finir de garnir l’hôtel de somptueux kilims et tapis.

Les choses apparemment s’étaient compliquées. Mon dossier avait pris le chemin normal de la police de Finike, mais ma qualité d’étranger les avait interpellé, j’étais en dehors de leur territorialité. Mon dossier était donc parti à Antalya mais ce n’était, paraît-il, qu’un léger contretemps, il ne fallait pas que je sois impatient.
Je fis tout de même remarquer que cette voiture, c’était ma société turque qui l’avait achetée. Et qu’elle était donc turque, et donc à immatriculer sans doute à Finike ! Et oui, j’avais raison. Mais ce n’était pas grave, ils allaient faire rapatrier le dossier. Une petite semaine de plus ce n’était pas grand chose n’est ce pas, après tout ma plaque provisoire me permettait de rouler dans les limites de Finike.

Il fallut plus d’une semaine. Le service étranger d’Antalya avait déjà pris conscience que ce dossier n’était pas de sa compétence et l’avait donc renvoyé, personne ne sut jamais pourquoi, à Ankara.

Il revint un jour à Finike ; l’après midi même de la veille de notre départ en Cappadoce. Metin fort heureusement avait dans ses connaissances un policier qui aimait le poisson. Et notre dossier fut traité en une demi-journée, record jamais vu à Finike me fit on remarquer !

L’autre dossier avait aussi progressé. A notre retour de Cappadoce j’eus donc le plaisir de me rendre à la mairie recevoir des mains du maire le document qui nous permettait de devenir hôteliers. Il reçut des miennes une juste contribution au budget de la mairie. Tout se passa rapidement, sans accrocs, sans allers-retours. Tout juste comme ils l’avaient prédit me firent remarquer Metin et Chefik .

La semaine suivante nous eûmes l’inspection préalable de la police qui agréa le lancement de l’activité, puis celle des membres de la commission d’hygiène et sécurité qui comptèrent les extincteurs et les fosses septiques et burent du thé.

Il ne nous manquait plus que quelques clients.

Un jour, las de les attendre, je partis prendre une bière au port sur le bateau restaurant. Metin m’accueillit avec une mine sombre et m’annonça qu’il avait une très mauvaise nouvelle à m’apprendre. Je restai de marbre mais blêmis intérieurement. Quel coin du ciel allait me tomber sur la tête ?

« Hüseyin s’est suicidé »

J’en ai toujours un peu honte, mais, un instant, un très bref instant, je fus soulagé.

Hüseyin était devenu une figure à Finike. Il avait créé une agence de voyage, organisait des chasses au sanglier pour les étrangers, louait des voitures, et, dernier investissement, avait ouvert un café restaurant. Tout le monde le surnommait « Şeytan » - Satan- .

Nous l’avions connu il y a plus de 15 ans, quand il n’était encore qu’un petit chauffeur de minibus que Teoman employait de temps en temps. Il nous avait conduit plusieurs fois lorsque nous organisions des ballades en Turquie avec nos amis. J’avais donc par nostalgie une certaine affection pour lui, mais je ne lui aurais jamais confié mes économies. J’admirais aussi son succès qui lui générait tant d’ennemis. Cas extrêmement rare à Finike il avait travaillé et, jusqu’à ce jour, on pouvait penser qu’il avait réussi.

Il faut dire que ses méthodes étaient parfois limites. Je me souviens d’un tour pendable qu’il m’avait joué deux ans auparavant. Je lui avais loué une voiture pour la durée de notre séjour à Finike. Je lui demandai aussi de me trouver un bateau pour faire visiter Kekova à des amis de passage.

Le jour dit notre bateau était là, Hüseyin aussi. Il récupéra les clés de la voiture pour faire un petit entretien de routine pendant notre croisière. La journée se passa à merveille et nous retournions tranquillement à Finike, vraiment tranquillement. Le moteur du bateau tournait au ralenti.
Nous finîmes par atteindre Finike. Hüseyin était là avec ma voiture et nous nous apprêtions à partir à la maison quand un Anglais tout excité me fit arrêter car il avait parait-il oublié quelque chose dans le coffre. Je lui expliquai qu’il devait se tromper de voiture mais il m’assura que c’est bien celle là, avec ce même numéro, qu’il avait utilisé pour aller à Antalya. Il n’y avait rien dans le coffre, mais je compris pourquoi le moteur du bateau ralentissait chaque fois que le capitaine téléphonait.

Ce diable d’Hüseyin me louait une voiture, me louait un bateau et relouait la voiture pendant que j’étais sur le bateau !! Il retardait celui-ci en attendant le retour du deuxième client ! Je n’avais qu’un mot à dire, Bravo ! Quelle organisation !
Le lendemain je lui fis remarquer qu’il poussait quand même le bouchon un peu loin. Mais il prétendit bien sûr que l’Anglais s’était trompé ; il réussît même à prendre un air offusqué.

Franchement je ne lui en voulais pas. Je dois même dire que je l’admirais. Et, après tout je n’avais pas été lésé en dehors de l’heure de retard qu’il nous avait infligé.

Personnellement je n’ai jamais eu à me plaindre d’Hüseyin et nous avions d’assez bonnes relations. Mais il est vrai qu’il avait très mauvaise réputation. On m’a raconté qu’il aurait un jour vendu un transfert vers l’aéroport 50 euros à un étranger. Apparemment c’était un très bon prix. Mais c’était une place à deux euros dans l’autobus local qu’il lui aurait fourni. Je n’imagine pas quand même qu’il ait eu l’aplomb de faire cela, mais telle était sa réputation qu’on lui inventait les plus misérables combinaisons. On ne prête qu’aux riches !

Quoi qu’il en soit il était mort. On avait retrouvé son corps dans sa voiture sur une petite route déserte près de Demre, une balle dans la tête et l’arme près de lui. L’enquête avait conclu au suicide pour cause de surendettement. Personnellement j’ai du mal à le croire.

Il m’avait bien dit qu’il avait des dettes, deux semaines auparavant en me proposant de lui racheter son restaurant pour en couvrir une partie ; un restaurant me suffisait déjà largement, mais je pus mesurer l’ampleur de ses dettes à l’aune du prix qui m’était proposé.
A mon avis ses dettes étaient sans doute à l’origine de sa disparition, mais, connaissant Hüseyin, j’incline à penser que quelqu’un l’avait surement aidé.
Nous n’étions pas très proches, mais tout de même, c’est une figure de nos premiers moments à Finike qui disparaissait.

Metin et moi prîmes un raki pour nous consoler.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

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Anonyme a dit…

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Un européen en Turquie a dit…

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