Permis de construire ???


En ce mois de mai 2005 les affaires maritimes n’étaient pas cependant, contrairement aux apparences, notre première préoccupation. Depuis trois ans déjà nous caressions l’idée d’utiliser la maison comme petit hôtel de charme. Et il était temps maintenant d’avancer dans ce projet.

Un hôtel à côté d’un restaurant, après tout, c’était une diversification qui avait une certaine logique.

Mireille devait arrêter son travail à la SNCF fin 2006. Il me restait à organiser la fin du mien.

Avant de partir j’avais pu convaincre les actionnaires japonais de la société qui m’employait que notre 3ième plan de restructuration devait être scandaleusement généreux pour éviter toute grève et contestation. Ils l’avaient accepté.
Il ne me restait plus qu’à les convaincre que le poste de Secrétaire Général ne se justifierait bientôt plus, que moi aussi je devais être dans le plan, et que fin 2006 il faudra donc songer à mon licenciement.

Si tout allait bien nous ouvririons donc l’hôtel en 2007. Il nous restait 18 mois pour finaliser ce nouveau développement.

Le nom était déjà choisi, « L’Orangeraie » pour les français, « Villa Portakal » pour les turcs.

En France la famille et les amis continuaient de penser que nous étions un peu frappés.

Première étape, consulter les autorités. La Turquie n’est pas le far-west et nous tenions à tout faire dans la légalité. Rendez vous fut donc pris avec Nail, le maire de Finike.

Ce devait être ma quatrième entrevue avec lui.

La première remontait dix ans auparavant pour obtenir notre permis d’habitation. Teoman me servait alors de traducteur et tous les trois nous examinions les plans de la maison pour déterminer le montant de ma contribution, ou plutôt de mes contributions.
La première, une taxe gouvernementale officielle, était relativement légère. Le véritable enjeu de la discussion était la deuxième, une contribution volontaire dépendant de la taille de la maison et de la souveraine appréciation du signataire des autorisations.
C’est ainsi que je devins membre bienfaiteur de « Finike spor » et généreux donateur aux œuvres générales de la mairie. J’ai eu deux reçus !

Comme les notaires, le maire de Finike reçoit tous à la fois ses différents administrés qui patientent dans les nombreux fauteuils de son immense bureau. Il passe allègrement du problème de l’un au souci de l’autre sans la moindre confidentialité.
Personne ne s’en plaint, tout cela est très intéressant, personne ne s’impatiente, au contraire, tout le monde a l’air ravi d’écouter.

Transparence totale à Finike !

Nail trône très à l’aise sur son fauteuil de cuir, offrant eau ou thé, écoutant d’une oreille attentive, prenant l’air inspiré et concentré avant de rendre ses oracles d’un ton très mesuré. Très grand seigneur, à la fois aimable et distant.

J’imagine que c’est ainsi que les représentants provinciaux des sultans devaient tenir conseil avec les paysans.

J’ai rencontré Nail une deuxième fois en 2003 pour obtenir mon contrat de fourniture d’eau municipale.

J’en avais eu assez de voir tomber en panne toutes mes pompes alimentant la maison depuis la rivière, et souhaitais donc me raccorder au réseau. Les services techniques ne firent aucun problème à partir du moment où j’acceptais de payer les tuyaux.

J’étais donc raccordé, sans contrat, depuis un an, et l’eau coulait claire, abondante… et gratuite, à la maison. J’avais cependant l’intuition que cela ne pouvait durer et demandai donc, depuis Paris, à Nevruz d’aller à la mairie pour faire préparer notre contrat que je pourrais ainsi signer lors de notre prochaine venue à Finike.

Ce ne fut pas si simple bien sûr.

A notre arrivée Nevruz m’expliqua, gênée, qu’il y avait un problème, que la mairie ne voulait pas nous faire de contrat. Elle m’affirma qu’elle ne savait pas pourquoi, mais je voyais à son air emprunté qu’elle en avait quelque idée, mais répugnait à être la messagère de ce qui devait être une mauvaise nouvelle.

Je ne voyais pas où pouvait se nicher le problème, d’autant plus que la mairie continuait à nous alimenter et que, par ailleurs, je ne demandais que l’autorisation de payer !

Je subodorais cependant que j’allais passer un mauvais moment.

A la mairie le service des eaux m’informa que mon contrat était prêt mais qu’il était bloqué. Le service bloqueur était celui des affaires immobilières. Eux non plus ne savaient pas pourquoi, avec le même air lointain qu’adoptait Nevruz quelques instants auparavant. L’angoisse monta, je fumai une cigarette et partis aux affaires immobilières, la boule au creux de l’estomac.

Le responsable m’expliqua, gentiment, qu’il était désolé, mais que, depuis un an, était entré en application un nouveau règlement interdisant la fourniture de l’eau municipale et de l’électricité aux maisons démunies de permis de construction.

Je soufflai. C’était un faux problème. Il était évident que j’avais eu un permis de construire.

Non me dît-il, il avait bien évidemment vérifié, aucun permis de construire à mon nom n’avait jamais été déposé.

J’étais effondré. C’est vrai que je ne m’étais jamais préoccupé de ce genre de détail. J’avais commandé une maison, je l’avais payée, j’avais été livré d’une maison. Je n’avais même jamais pensé au permis de construire et encore moins à l’éventualité qu’Osman puisse avoir construit sans autorisations.

J’obtins dans l’urgence un rendez vous avec le maire à qui j’exposai ma situation. Je sentis bien à son regard qu’il se disait que je n’avais que ce que je méritais : un étranger construisant sans permis, quel toupet de vouloir à ce point s’intégrer aux pratiques du pays!
Il m’informa que, de toute façon, il ne pouvait rien faire. Devant mon air désespéré il me rassura cependant en précisant qu’il n’y avait pas de raisons objectives pour qu’on détruise ma maison, du moins pas pour le moment.

L’autre point positif selon lui était l’ancienneté de mon contrat de fourniture d’électricité. Le règlement ne s’appliquant pas rétroactivement ils n’allaient pas me couper le courant.

J’essayais désespérément de positiver.

Je lui rappelai notre première entrevue où il nous avait donné l’autorisation d’habiter. Je compris de sa réponse qu’à l’époque cela ne présumait pas de l’existence d’un permis pour la construction.

Rentré à la maison j’expliquai à Mireille la gravité de la situation. Coïncidence nous devions dîner le soir même à Kas, chez notre ami, et constructeur, Osman. Assailli par moi de questions il me certifia avoir lui-même déposé et obtenu le permis, et que, d’ailleurs il m’en avait remis une copie. J’étais partiellement rassuré, partiellement parce que, tout de même, à la mairie ils n’avaient pas ce permis et que j’étais certain de n’en avoir jamais reçu de copie ; rassuré quand même, car Osman n’est pas un plaisantin et il avait l’air si sûr de lui….

Je retournai donc le lendemain aux affaires immobilières où je leur demandai de chercher encore une fois. Un peu excédé le responsable me proposa de regarder ensemble dans son registre des permis.

C’est un grand registre noir, en forme de répertoire, où sont classés par nom de propriétaire tous les permis accordés depuis les vingt dernières années.

Et nous constatâmes, ensemble, effectivement, qu’à la lettre J il n’y avait aucun permis à mon nom.

C’est vrai qu’à la mairie aussi tout le monde m’appelle « Jiarr » !

Pris d’un fol espoir je lui demandai de regarder aussi à la lettre O s’il n’y avait pas, par hasard, un permis à mon nom de famille, Ollivier.

Il était là ! J’en pris cinq photocopies.

Dix minutes après j’avais mon contrat. Le soir même, exceptionnellement et symboliquement, je bus un grand verre d’eau de la mairie avant mon whisky. Elle était douce, elle était agréable, elle était municipale, elle était légale.

Finalement j’étais content de cette histoire. Je savais maintenant que ma maison avait eu un permis de construction, et j’en avais cinq copies.

Ma troisième rencontre remontait à l’épisode de la dragueuse où Nail m’avait assuré d’un air détaché qu’il y aurait un minimum de dégâts.

C’est avec le même air détaché et distant qu’il m’assura ce jour là qu’il n’y aurait strictement aucun problème pour l’ouverture de notre petit hôtel.

Que je fasse le moment venu toutes les démarches auprès de la police et des services d’hygiène et de sécurité, et les autorisations de la mairie suivraient naturellement dans la foulée.

Inch Allah !

Je savais bien que ce ne serait pas si simple que cela. Mais le rendez vous n’avait pas été négatif. Nous pouvions rentrer en France. J’étais content.

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