C'est la faute à René

Août 2004 fut un mois riche en évènement à Finike : Ali s’était marié, Ibrahim avait remporté son concours d’entrée à l’université, nous avions acheté l’orangeraie de Mustafa, et, j’allais l’oublier, nous avions licencié Recep, le patron de notre bateau restaurant.

Et surtout, nous avions enfin fixé la date de notre installation définitive en Turquie, ce serait en 2007, au trentième anniversaire de notre première arrivée.
Nous y avions mis le temps. La décision sur le principe avait, elle, été rapide:dès notre deuxième séjour en Turquie nous avions décidé de nous y installer. Nous pensions gérer notre transfert en deux ou trois ans.

Il nous a fallu en fait gérer le temps et l’argent.

Le destin procède à des choix bizarres : comment nous a-t-il mené vers le petit port de Finike, au fond de la Méditerranée, en face d’Alexandrie ? Moi, breton dans l’âme, venant du Léon finistérien, et Mireille, née en Bourgogne profonde et ayant passé toute son enfance et adolescence au Brésil.
Pour moi les responsabilités sont claires et, bien que de son vivant il s’en soit toujours défendu, le bras du destin fut, sans conteste, mon beau père, René.

Toute cette histoire a en effet commencé au début de l’hiver 1977. Mireille et moi, jeunes mariés, fraîchement diplômés, débutions dans l’insouciance une vie professionnelle que nous entendions placer sous le signe de la facilité.
A vrai dire nous songions surtout à nos vacances d’été.

René quant à lui menait depuis deux ans une vie paisible en Colombie où son employeur avait jugé bon de l’envoyer.
L’amour de la famille, de son logement et de sa voiture de fonction nous poussait naturellement à envisager un plein mois de vacances sur le continent sud-américain.

C’est au printemps que tout se joua et que se déclencha insidieusement l’inexorable engrenage qui, trente ans plus tard, nous conduirait à nous installer là où nous n’avions jamais envisagé d’aller.
C’est au printemps en effet que René nous annonça avoir épuisé les charmes colombiens et sa prochaine mutation dans une usine mulhousienne de Saint Gobain. Personne ne nous avait consultés et ce revirement inattendu nous plongea dans la plus grande anxiété. Mulhouse n’était pas vraiment un bon plan pour l’été.

Si les responsabilités de départ sont ainsi clairement identifiées, demeurent en revanche à jamais enfouies les raisons qui nous firent choisir la Turquie. Quoi qu'il en soit nous nous retrouvâmes un beau soir de juillet 1977 contemplant le Bosphore devant un verre de thé.
Et, pour conclure une fois pour toutes, sur ces responsabilités, que René sache, qu’au-delà des péripéties turques de toutes ces années, je lui impute nos quarante cinq voyages en Anatolie, vingt cinq tapis et autant de kilims, quatorze kilos d’onyx, diverses et nombreuses babioles, un contrôle douanier, et mon penchant actuel pour le raki.

Ce premier contact avec Istanbul ne me laisse que de très vagues souvenirs, remplacés peu à peu par ceux de nos séjours répétés. Le seul qui surgisse clairement de ma mémoire est celui de notre rencontre avec Mustafa. Trente ans plus tard je me souviens encore de son prénom.

Il avait à peu près notre âge, parlait un excellent français, et c’est avec lui que ce beau soir de juillet nous jouissions de l’athmosphère du Bosphore en prenant le thé. Il était vraiment gentil, affable et cultivé, et nous convînmes de nous voir à nouveau le lendemain.

Ceux qui sont déjà allés en Turquie auront compris que le lendemain nous avions acheté un tapis.

Ce tapis est d’ailleurs le second souvenir qui demeure de ce premier séjour : dans les tons rouges, chatoyants, supposé être de soie et de coton, il venait de Kayseri. Et je me souviens aussi que nous l’avions payé un bon prix.
Pendant deux ans nous sommes restés très fiers de notre tapis, jusqu’à ce que nous eûmes compris que le coton mercerisé ne faisait pas des tapis de très bonne qualité.

Je n’en veux pas à Mustafa, l’arnaque était bien et gentiment faite. Il y avait beaucoup investi : deux jours, un déjeuner, de multiples thés. Et, après tout, pendant deux ans nous avons été très fiers de ce tapis.

L’année suivante nous revenions en Turquie et, en Cappadoce, faisions la connaissance de Teoman. La décision était prise, un jour nous nous installerions en Turquie.

En 1980 Teoman venait en France, se mariait en Belgique. Cinq ans plus tard il divorcerait et rentrerait au pays.

En 1991 nous devînmes ses « associés » dans la construction d’une goélette sur la mer noire.

En 1995 nous achetions une orangeraie dans la plaine de Finike.

En 1997 la maison était construite.

En 2000 s’ouvrait notre bateau restaurant au port de Finike.

Et nous étions en août 2004. Les vacances venaient de commencer.

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