Le fumeur de hasch professionnel

En dehors des affaires patrimoniales, il avait aussi fallu gérer les affaires courantes en ce mois d’août 2004.

Le seul actif de notre société était donc un bateau restaurant, Deniz Reis. Ce n’est pas l’actif le plus rentable que l’on puisse imaginer et je suis habitué à combler de temps en temps les déficits d’exploitation de notre restaurant de poissons. En toute logique je devrais le fermer, mais sentimentalement je n’arrive pas à me faire à cette idée.

Avant de partir de France j’avais donc téléphoné à Recep, mon « directeur délégué », pour savoir si je devais prévoir quelque chose pour la caisse. Il m’avait répondu que non, presque d’un ton offusqué.

Mais sur place le ton changeait. Nous étions ensemble sur le pont, le livre de caisse entre nous. Effectivement le livre de caisse était satisfaisant, il restait 500 millions de livres, nous étions en début de mois, les salaires et les charges avaient été payés .
J’étais sidéré c’était excellent.

C’est alors que Recep me demanda 200 millions pour payer des dettes résiduelles chez l’épicier ! S’ensuivit un dialogue de sourds.

« Prends les donc dans la caisse »
« Mais dans la caisse il y n’y a plus d’argent »
« Mais on vient de voir qu’il y a 500 millions »
« Oui, il y a 500 millions dans le livre, mais dans la caisse il n’y a rien »
« Mais c’est le livre de la caisse ! »
« Oui mais je ne marque pas tout, des fois j’oublie des choses, c’est compliqué. »
Mon Recep tenait un livre de caisse pour me faire plaisir, uniquement pour la beauté du geste !

La discussion s’envenimait un peu, il me prévenait maintenant qu’il lui fallait de l’argent alors que trois jours auparavant le restaurant croulait sous les liquidités. Il ne voulait pas gâcher mon voyage me dit il.
En approfondissant je découvris qu’il n’y avait pas que l’épicier, mais qu’il y avait aussi le marchand de poissons, et que cela faisait si longtemps que Recep en avait oublié le montant car il avait aussi omis de noter ce qu’il lui achetait !

Là c’en était trop trop. Je n’avais plus le choix, Recep, je devais le licencier. Dès que je lui aurais trouvé un remplaçant. En attendant je lui demandai de convoquer le poissonnier pour l’après midi et de se souvenir au mieux des autres commerçants avec qui nous serions en débit.

Nous avions peu de recettes, mais nous avions visiblement acheté beaucoup de poissons. Je convins d’un échéancier avec le poissonnier ! Le sort de Recep était définitivement scellé.

Je m’en ouvris le soir même à Mehmet Soydaş avec qui nous dînions. Mehmet me confirma que depuis quelque temps Recep avait beaucoup changé, il buvait beaucoup, avait de mauvaises relations et voyait les filles au « pavillon ».

Le « pavillon », prononcer « paviyonne », est une institution à Finike, ou plutôt les « pavillons ». Il y en aurait,parait-il, une quinzaine dans les environs. Un « pavillon » est en résumé un bar à entraîneuses miteux planqué dans la campagne ou la montagne, où l’on boit en regardant les filles à qui l’on a offert à boire, et plus si affinités.
D’après Mehmet notre clientèle commençait d’ailleurs à comporter régulièrement des habituées des pavillons, et nous commençions à avoir une certaine réputation.

Gasp ! Et en plus je n’en tirais aucune rémunération !

Je demandai à Mehmet si le cuisinier que nous employions, Metin, était sérieux comme il le semblait, et s’il pouvait prendre la place de Recep à la tête de l’exploitation.

Avant de poursuivre le récit je dois dire que tout ceci m’avait un peu perturbé, que j’avais dû soigner mon stress avec force rakis, et que nous étions assez avancés dans la nuit.

Mehmet fumait cigarettes sur cigarettes, un halo de fumée l’entourait. En tirant une énorme bouffée, un peu comme on tire sur un joint, il me répondit :

« Metin, est un « profesyonal haschçi ».

Le suffixe « çi » est un suffixe indiquant le métier, et se prononce « tch ».

Vous avez compris comme moi que notre cuisinier ou fumait du hachich comme un pros, ou pire était un dealer invétéré !

Après les filles le hasch !

J’étais un peu désarçonné.

Le lendemain je vis Recep à la première heure pour lui dire que notre cuisinier faisait et fumait ce qu’il voulait dans sa vie privée, mais que je ne voulais pas un seul brin de haschich dans ce restaurant. Recep tomba des nues, je lui communiquai ma source, il était comme moi estomaqué.

Le soir même Mehmet Soydas arriva à la maison, tout retourné :

« Jiarr, tu as dit à Recep que Metin fumait de la drogue, »
« Ben, oui, c’est toi qui me l’a dit hier soir »
« Mais je ne t’ai jamais dit cà, Metin est un de mes amis que je connais depuis l’école, il est très sérieux et ne toucherait jamais à la drogue. Recep lui a dit que tu lui avais dit que j’avais dit qu’il se droguait. Il est venu me voir pour comprendre ce qui se passait !»

Là je ne comprenais plus rien, ce n’était tout de même pas moi qui avais fumé !

Ce fût Mireille qui dénoua le quiproquo.

Un cuisinier en turc est un « aşçı » qui se prononce «achtche ». Metin est un cuisinier professionnel !

Honteux de ma confusion et de mes faiblesses en turc je me précipitai à la plage de Gökliman où, pendant la journée, Metin officiait aussi comme cuisinier. Je me confondis en plates excuses en lui expliquant ma confusion.

Il en rit heureusement, et nous conclûmes autour d’une bière : il se libèrait ici dès ce soir, je licencais Recep dans l' après midi, et il devenait patron-cuisinier de notre restaurant.

Ouf !!!

Le licenciement de Recep se fit dans le calme et il partit immédiatement. Il revint un soir, trois jours plus tard, totalement enivré, pris en otage le permis de vente d’alcool qui était affiché ( !!) et le lendemain me téléphona, toujours enivré, en me demandant 10 milliards d’indemnités pour le restituer !

Quelques pressions amicales de communes relations le firent revenir à la raison et le permis de vente d’alcool put à nouveau être affiché.

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